Conseiller en stratégie, Frédéric Serrière aide les entreprises à trouver des relais de croissance face au vieillissement démographique. Pionnier, il étudie la silver économie depuis 1999 alors que le concept est réellement apparu en France en 2013. Les opportunités de ce secteur sont réelles, mais gare aux pièges, facteurs d’échecs de produits et de services. Entretien.
Info-éco / Quelle est votre définition de la silver économie ?
Frédéric Serrière / Selon moi, il faut distinguer deux notions. D’un côté, nous avons le grand âge avec des personnes plutôt dépendantes en Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ou en situation de maintien à domicile. De l’autre, il faut évoquer le marché des seniors, concernant la consommation globale des 60 ans et +.
Info-éco / Les opportunités de développement sont importantes ?
F. S. / La consommation des produits et services des personnes de 60 ans et + et des 75 ans et + est déjà et va encore être moteur dans nos économies. Une étude du McMinsey Global Institute décrit notamment qu’en Europe de l’Ouest, 60 % de la hausse de consommation dans les 15 prochaines années va être généré par les + de 60 ans. Et si nous allons un peu plus dans le détail, 61 % de cette hausse va être générée par les 60-75 ans.
Info-éco / Quels sont les secteurs porteurs de la silver économie ?
F. S. / Tous les domaines sont concernés : les transports, les loisirs et le bien-être, l’alimentation, la sécurité, l’habitat, le sport, les nouvelles technologies. Cela tient surtout à l’évolution des mentalités. Il y a 15-20 ans, l’enjeu était de vivre plus longtemps en bonne santé. Aujourd’hui, nos seniors veulent toujours vivre plus longtemps et en bonne santé, mais ils souhaitent aussi continuer leurs activités voire en pratiquer de nouvelles. Et forcément la consommation est au cœur des enjeux. Mais attention il y a aussi des pièges. Des marques d’habillement identifiées pour les personnes âgées par exemple doivent innover pour changer leur image sinon les seniors ont tendance à s’en détourner. Nous avons aussi observé que le rachat d’appareils électroménagers baissent chez les seniors qui vont préférer des produits qualitatifs. Si une entreprise comme SEB ne s’oriente pas toujours sur les innovations, elle peut perdre le marché des seniors.
Info-éco / Vous travaillez sur la silver économie depuis la fin des années 90. Vous étiez plutôt précurseur ?
F. S. / Oui le concept est d’abord arrivé dans les pays asiatiques. Ici, le marché des seniors devient un relais de croissance autour de 2007, mais la crise économique le met aussitôt de côté, avant une reprise depuis 2013.
Info-éco / Et depuis, est-ce qu’on peut parler de bulle économique ?
F. S. / Comme dans toutes les nouvelles filières économiques, il y a évidemment un phénomène de bulle. Dans les produits, mais surtout les projets. Il faut par exemple signaler que 80 % des projets labellisés « Silver Eco » entre 2007 et 2013 n’existent plus.
Info-éco / Quels sont les risques d’échecs pour les produits et services imaginés par les start-ups notamment ?
F. S. / Disons que la co-conception de produits et services en partenariat avec les professionnels et les acteurs de terrain est facteur de réussite. Les exemples d’échecs sont souvent sur des produits qui sont soit arrivés trop tôt sur le marché et donc les utilisateurs n’étaient pas prêts à les utiliser, soit la distribution avait été mal anticipée. Le plus important est que le produit doit être cohérent avec les attentes et surtout les besoins des personnes âgées.
Info-éco / Des exemples ?
F. S. / J’ai à l’esprit la création d’une tablette tactile spécifique pour les plus de 80 ans. C’est un public qui aujourd’hui n’a jamais eu l’usage des nouvelles technologies. Peu vont s‘y mettre à 80 ans. D’autant qu’un outil spécifique n’est pas non plus attractif car les personnes âgées n’aiment pas être « identifiées » comme telles. Il fallait peut-être plutôt adapter et simplifier les tablettes tactiles existantes. Les petits-enfants pourraient alors l’utiliser. L’intergénérationnel aussi fonctionne mieux. Autre exemple, aux Etats-Unis, la montre Lovely est munie d’un dispositif de géolocalisation. Les concepteurs n’avaient cependant pas anticipé la méthode de distribution, misant sur la vente directe. Depuis la société a été rachetée par un opérateur de téléphonie qui bénéficie d’un réseau de distribution et ça fonctionne.
Info-éco / Vous investissez dans des projets. Qu’est-ce qui vous pousse vers certains projets plutôt que d’autres ?
F. S. / Je me pose trois questions. La première est comment le service ou le produit permet aux personnes âgées de continuer leurs activités ? Avec l’alimentation, le plus évident est de penser au portage de repas, mais je peux aussi prendre l’exemple de bas de contention qui vont leur permettre de mieux marcher et pourquoi pas une boisson énergisante du même type que celle des jeunes générations, mais cette fois adapté aux goûts de seniors. Dans le cadre du maintien à domicile, il faut évoquer la consommation électrique, les équipements et aménagements intérieurs, le sécurisation des biens et de la personne. Et du côté des établissements, il faut trouver des moyens pour réduire les coûts de fonctionnement. Les budgets des collectivités se réduisent et donc tous les produits qui permettront de faire des économies sur du long terme sont porteurs. Je pense aux solutions de veille à distance, de gestion des médicaments ou des repas. Les produits et services de prévention de la dépendance sont encore compliqués à commercialiser. Les personnes âgées préfèrent ne pas y penser et ne sont encore pas très réceptives.
Propos recueillis par M. N.