Le président du Conseil départemental de la Charente-Maritime et président des Départements de France n’apprécie guère la loi de nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).
Info-éco / Quel avis portez-vous sur la loi NOTRe ?
Dominique Bussereau / Je ne l’ai pas votée parce que je ne la trouve pas assez décentralisatrice. Dans certains domaines on assiste même à une recentralisation. Par exemple dans les futures régions ce sera le préfet qui arrêtera le schéma de développement économique et non le président de région. Et ce sont sans arrêt des équilibres entre les intercommunalités et les régions. Tout cela est difficilement compréhensible. En plus c’est une loi qui n’est pas achevée car elle doit être complétée par des décrets d’application qui, pour la plupart, ne sont pas encore publiés.
Info-éco / La loi introduit une forme de spécialisation des Régions, qui deviendront notamment responsable des orientations en matière de développement économique. Qu’en pensez-vous ?
D. B. / Cela pourrait introduire une forme de clarté sauf qu’il y a beaucoup de compétences qui restent partagées et c’est fondé sur la capacité des gens à se comprendre. En supprimant la clause de compétence générale, on fait le pari que les gens se parlent et travaillent entre eux.
Info-éco / Vous critiquez la suppression de la clause de compétence générale ?
D. B. / Prenez l’exemple de l’université de La Rochelle ; Elle relève de la compétence de l’Etat. Mais depuis sa création 50 % de l’investissement a été réalisé par la Région Poitou-Charentes, le Département de Charente-Maritime et la Communauté d’agglomération de La Rochelle (Cda). Autre exemple, le passage à quatre voies de la route entre Saintes et Royan, qui est une route d’Etat, a été financé à 50 % par la Région et le Département. Les grands projets sont portés par les cofinancements. Donc si les collectivités ne fonctionnent pas entre elles, il ne se passe plus rien. L’aéroport de La Rochelle n’arrive plus à se financer. Si on ne met pas en place un cofinancement via un syndicat mixte entre la future grande région, le Département, la Cda et peut-être la communauté de communes de l’île de Ré, il fermera.
Info-éco / Pourtant selon vous le Département ne perd pas vraiment sa compétence économique …
D. B. / Tout à fait. Le tourisme, notre première économie en terme de chiffre d’affaires et d’emplois, reste de notre compétence. Ce que l’on perd, c’est l’aide directe aux entreprises. Jusqu’à la fin de 2016 si un chef d’entreprise a un problème, il peut encore venir voir le Département pour obtenir une avance remboursable ou un prêt s’il est vraiment en difficulté. Nous avons sauvé un paquet d’entreprises comme ça en Charente-Maritime. Nous avons aussi pré financé la construction de bâtiments pour la Sogerma (aujourd’hui Stelia, NDLR), ce qui a permis le développement du pôle aéronautique de Rochefort. A l’avenir on ne pourra plus le faire. Il faudra soit soumettre la demande à la Région, qui gérera le dossier et nous proposera un co-financement, ou alors une intercommunalité nous invîtera à co-financer ou construire directement une zone d’activité. Le Département sera toujours un deuxième rideau et non plus un premier avec la capacité de réagir en huit jours. Là les mécanismes seront beaucoup plus longs car il faudra des délibérations de la Région et de l’intercommunalité.
Info-éco / Le mille-feuilles administratif n’est donc pas prêt de diminuer …
D. B. / La loi NOTRe ne simplifie en rien le mille feuilles ; elle le complique. Ceci étant, le mille feuilles est une vision assez parisienne parce que c’est grâce à lui que le Futuroscope ou le Center parc existent dans la Vienne. Quand les gens se réunissent pour mener à bien un pojet, cela ne me paraît pas une mauvaise manière de faire les choses.
Info-éco / Craignez-vous que la loi NOTRe constitue la première étape de la suppression des départements ?
D. B. / C’était l’idée du gouvernement au départ. Mais devant l’opposition des députés et des sénateurs de toutes tendances politiques, il a rétropédalé. De plus les intercommunalités, qui sont déjà anciennes en Charente-Maritime, ont absolument besoin de nous pour beaucoup d’actions. Donc l’idée technocratique parisienne de dire “les intercommunalités et les régions”, cela ne marche pas. Surtout avec la notre qui a la taille de l’Autriche.
Info-éco / Les premiers jalons ont-il été posés avec Alain Rousset ?
D. B. / Bien sûr. Alain Rousset et moi sommes amis depuis 40 ans. Nous étions étudiants ensemble. Avant que la grande région existe, nous avons parlé des projets de la Charente-Maritime.
Info-éco / Que va devenir le bailleur social Habitat 17 ?
D. B. / Rien ne bouge car les Départements conservent la compétence logement. La Semdas, la société d’économie mixte, va continuer aussi car elle ne construit pas que des bâtiments d’entreprise, mais aussi des logements et des casernes de pompiers ou de gendarmes. En revanche si la loi NOTRe n’évolue pas, nous serons amenés à vendre nos parts dans la la Semas, notre société d’économie mixte pour le transport scolaire ou classique, car nous n’aurons plus cette compétence. Cependant, Alain Rousset souhaite déléguer le transport scolaire aux Départements. La Région s’occupera aussi du transport maritime entre Fouras et l’île d’Aix ou entre La Rochelle et l’île d’Oléron.
Info-éco / Existent-il d’autres projets de délégations régionales ?
D. B. / Il peut y en avoir, mais on peut aussi bâtir avec la Région et les intercommunalités des syndicats mixtes, pour les ports de commerce et de pêche les plus importants de Charente-Maritime. C’est mon souhait.
Info-éco / Cette politique des grandes régions vous paraît-elle une bonne avancée ?
D. B. / C’est controversé. Mais ici, Bordeaux est notre capitale économique sans constestation. Nous avons les mêmes problématiques touristiques, littorales, forestières.
Info-éco / La grande Région peut-elle aider à exister au niveau international ?
D. B. / Bordeaux est une ville très attractive. Elle est la ville de France la plus visitée après Paris. C’est un nom connu dans le monde entier. Je pense que l’Aquitaine a une belle capacité à rayonner. Nous avons un tourisme littoral très fort sur les quatre départements côtiers, le Périgord avec sa puissance touristique, la Vienne avec le Futuroscope et Center parc. Nous avons donc des outils de rayonnement que l’on peut faire fonctionner ensemble. u
Propos recueillis par O. Guérin