Aujourd’hui, ce qui prévaut au sein d’une entreprise, d’un établissement est avant tout d’avoir des compétences stratégiques, ainsi que des savoir-faire variés pour mieux comprendre l’environnement, ses spécificités et emmener les équipes dans cette direction. Dans le management, cela se traduit par la mise en avant du savoir-être, de l’adaptabilité, la bienveillance et l’humilité. Peut-on alors parler de management au féminin ?
Isabelle Dilhac, préfète de la Vienne aime à relire une note de renseignement rédigée en 1925 par un chef de service : “Parmi les nombreuses mesures néfastes, prises, en matière de personnel, l’une des plus regrettables est assurément celle qui a donné accès aux femmes dans le cadre supérieur. Des inconvénients multiples en découlent. La femme aurait à exercer une autorité sur des collaborateurs, parfois âgées, ayant fait la guerre et qu’humilierait profondément une telle subordination. (…) Si la femme était appelée à diriger d’autres femmes, la mentalité féminine est de telle nature que les questions de sentiments primeraient. De cette animosité résulteraient des heurts, des froissements, des résistances, préjudiciables à la marche du service. D’autre part, la femme, être nerveux et impulsif par tempérament, serait-elle bien qualifiée pour prendre une décision administrative ? (…) La notion de la simple justice, de la froide raison, du sens juridique, de la franchise sans restriction mentale et de la responsabilité échappe encore, à l’heure actuelle, à la plupart des femmes.”
« Tout ça est très relatif. Pour moi, il n’y a pas de management au féminin, mais plutôt des qualités issues du masculin et du féminin, explique Isabelle Dilhac. Dans nos cultures, l’homme est associé à des valeurs guerrières et la femme à l’écoute, l’empathie. » En effet, dans la culture occidentale, le commandement est associé à des schémas guerriers : compétitivité, conquête, agressivité. A l’opposé, une femme reste traditionnellement celle qui donne la vie. Elle inspire donc la protection, la sensibilité, l’intuition. « Avant le chef était celui qui dictait la parole, aujourd’hui les schémas ont évolué. Ce n’est pas tant le fait d’être un homme ou une femme qui importe pour bien manager, mais celui d’avoir des qualités en adéquation avec la société d’aujourd’hui, de s’adapter à la situation. Aux femmes sont prêtés souvent plus d’empathie, de pragmatisme. On les dit plus ouvertes au travail collaboratif et à la mise en valeur du travail des autres. Ces valeurs sont aujourd’hui recherchées au sein d’un collectif. Le management a évolué. »
En effet, quand il s’agit de convaincre, motiver et entraîner les autres, le manager se prête à un exercice complexe, intense et multi-facettes. Aujourd’hui, un leader inspirant doit être humain, savoir détecter les changements, faire preuve de rude empathie et savoir rester lui-même. « Ce n’est plus l’ordre et la discipline qui sont mis en avant, mais la recherche de sens dans une mission. L’écoute et la compréhension sont les deux ressorts pour bien travailler ensemble. »
Carine Courtaudière, secrétaire générale à la Fédération française du bâtiment en Vienne va dans le même sens. « Aujourd’hui, dans le management, c’est l’observation, l’écoute, la collaboration qui priment. Le management est avant tout une question de personne. Pour bien manager, il faut s’adapter à la personne qu’il y a en face de nous, que ce soit un homme, une femme, un chef d’entreprise, un manager … »
L’humain dispose d’une palette de comportements. Le leader est celui qui use du bon registre selon le contexte et les personnes. Isabelle Dilhac le confirme : « Aujourd’hui, il faut plus piloter que commander, être à l’écoute et compter sur les compétences du groupe, gérer justement aussi la complexité de cette équipe. » Pour susciter l’engagement des équipes, un dirigeant doit exercer son intuition, faire preuve d’empathie et de confiance, tout autant que de fermeté et de dureté quand la situation l’exige. L’avenir du management réside donc dans la recherche d’un équilibre entre le féminin et le masculin. La mixité a de l’avenir.
Combattre les stéréotypes
Si Isabelle Dilhac a tracé son chemin dans l’administration française pour arriver au poste de préfète, ce qui la contrarie aujourd’hui est l’image renvoyée par les préfectures et les préfets. « D’après une récente étude, le poste de préfet est tenu par un homme, un énarque, autoritaire, qui veut pour sa carrière aller à Paris. Je suis l’antithèse de cette image et je ne peux que la combattre. Mais cela signifie bien qu’il y a tout un imaginaire à transformer, des stéréotypes de métiers à déconstruire. »
Carine Courtaudière n’a pas eu de difficultés à évoluer dans ce milieu majoritairement masculin. « Pourtant le changement ne peut passer que par ces hommes du bâtiment qui acceptent de ne se fier qu’aux qualités. Après, c’est pour moi, une pression supplémentaire, de leur prouver que je tiens mon rôle, mais tout le monde est capable de tout. »
Prendre sa place
Si la question du management est en fait propre à chacun, il reste que les femmes sont beaucoup moins nombreuses à ces postes. En regardant la répartition des catégories socioprofessionnelles selon le sexe en 2016, 14,9 % des femmes sont des cadres et professions intellectuelles supérieurs, contre 20,4 % des hommes. Les clichés ont la vie dure. « Les femmes ont peut-être plus de mal avec l’ambition, indique Isabelle Dilhac. Pourtant, nous avons droit à une légitime ambition. Il n’y a pas de questions à se poser sur notre légitimité, un homme ne le fait pas … Il y a encore beaucoup à faire, mais nous avons des atouts à mettre en avant. Pour moi, quand un journal ne titrera plus : pour la première fois le préfet est une femme …, j’aurais, à ma façon, participé à faire avancer les choses. »
M. W.